Retrouvez et signez cette contribution sur le site du Parti socialiste.
Face au creusement des inégalités et à l’impératif de démocratisation scolaire, François HOLLANDE avait insisté dans son programme sur sa volonté de remettre l’éducation et la jeunesse au cœur de l’action publique. Cet engagement de campagne s’est d’ores et déjà traduit par des annonces budgétaires et, surtout, par le lancement, le 5 juillet 2012 d’une vaste concertation sur la refondation de l’Ecole, sous l’égide des ministres Vincent PEILLON et George PAU-LANGEVIN.
Face au creusement des inégalités et à l’impératif de démocratisation scolaire, François HOLLANDE avait insisté dans son programme sur sa volonté de remettre l’éducation et la jeunesse au cœur de l’action publique. Cet engagement de campagne s’est d’ores et déjà traduit par des annonces budgétaires et, surtout, par le lancement, le 5 juillet 2012 d’une vaste concertation sur la refondation de l’Ecole, sous l’égide des ministres Vincent PEILLON et George PAU-LANGEVIN.
Nous
ne prétendons pas aborder ici tous les enjeux de cette refondation. Nous
voulons juste insister sur un point. Tout indispensables qu’elles soient, les
réformes organisationnelles ne suffiront pas. L’avènement de l’Ecole de masse,
les profondes mutations culturelles de nos sociétés et l’impératif démocratique
viennent bousculer les certitudes de l’institution. Franchir une nouvelle étape dans la démocratisation de l’Ecole suppose
aussi la refondation de la culture scolaire, pour la rendre plus ouverte à la
culture vivante et plus apte à la réussite de tous.
François
HOLLANDE l’avait pressenti, qui écrivait dans son programme : « Je donnerai la priorité à
l’acquisition des savoirs fondamentaux et d’un socle commun de compétences et
de connaissances. Nous transformerons, avec les enseignants, les méthodes
pédagogiques » (engagement n°37). Dans le cadre de la concertation
initiée par le Gouvernement, cet aspect sera traité par le groupe de travail
n°1 (la réussite scolaire pour tous) à travers au moins deux thèmes :
« la redéfinition du socle
commun » et « le
renforcement de l’éducation artistique, culturelle et scientifique ».
A
quelques mois d’une nouvelle loi d’orientation pour l’Ecole, ces enjeux nous
ont semblé suffisamment politiques pour que nous leur consacrions une
contribution dans le cadre du congrès de Toulouse.
1.
Ambition et limites du socle commun
Institué
par la loi FILLON (2005), le socle commun de connaissances et de compétences a
été progressivement mis en œuvre dans les établissements scolaires, notamment
depuis 2010 à travers le Livret Personnel de Compétence (LPC). Hélas, cette
réforme n’a pas permis de refonder la culture scolaire.
Le socle commun répondait
pourtant à une ambition progressiste du législateur, celle de définir « un ensemble de connaissances et de
compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa
scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et
professionnel et réussir sa vie en société ». Le socle commun devait
devenir le cadre de référence de la scolarité obligatoire, fixant des objectifs
qui devaient fédérer tous les efforts de l’Education nationale. Ses concepteurs
y voyaient aussi l’occasion d’ouvrir davantage les pratiques des enseignants au
travail d’équipe interdisciplinaire et à l’approche par compétences, considérés
comme plus efficaces dans le traitement des difficultés scolaires.
Mais
les contradictions du socle commun étaient inscrites dans la loi elle-même. Il
y était tout d’abord précisé que, « parallèlement à l'acquisition du socle
commun, d'autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité
obligatoire ». Ainsi le socle se concentrait-il sur les
« bases », les « fondamentaux », tandis que perduraient des
programmes disciplinaires plus étoffés.
De
fait, avec d’un côté le LPC et de l’autre des programmes régulièrement mis à
jour, la scolarité obligatoire se trouve aujourd’hui dotée d’un double
référentiel, qui risque d’accentuer encore les inégalités scolaires. Il est à
craindre que pour une partie des élèves et des établissements, le socle ne devienne
un horizon indépassable : « le socle pour tout le monde et la
statue pour quelques-uns seulement ! » (Philippe MEIRIEU au Café pédagogique, 4/11/2010). Alors que
le besoin d’élever le niveau de qualification se fait plus pressant en France,
l’école obligatoire renoncerait-elle à préparer tous les jeunes, à égalité, à
la poursuite d’études ?
Autre
contradiction inscrite dans la loi, « la
scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens
nécessaires à l'acquisition d'un socle commun », mais en même temps, cette acquisition par
les élèves « fait l’objet d’une
évaluation qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité ».
La loi fixe donc à l’Ecole une obligation de moyens, mais elle impose en même
temps l’évaluation des performances individuelles en cours de scolarité – qui
ne se réduit pas à la certification finale du socle.
Avec
le LPC, cette obligation d’évaluer les élèves s’est même transformée en une véritable frénésie évaluatrice, la
validation des compétences étant programmée en CE1, en CM2 et tout au long de
la scolarité au collège. Cette validation vient s’ajouter aux évaluations
existantes sans qu’aucune réflexion globale n’ait été menée sur la place et le
rôle de l’évaluation à l’Ecole. Elle ne fait sens ni pour les élèves, ni pour
les familles, ni même pour beaucoup d’enseignants, pour qui elle représente
surtout une tâche administrative supplémentaire, difficilement applicable et
assurément chronophage.
Couplé
au Programme Personnalisé de Réussite Educative (PPRE), prévu lui aussi par la
loi FILLON, le LPC enferme par ailleurs la scolarisation des élèves en
difficulté dans une individuation dont
la logique s’avère pernicieuse, puisqu’elle encourage à traiter la
difficulté scolaire hors de la classe et à la contractualiser avec l’élève et
sa famille, qui en deviennent donc responsables.
Dans
le même sens, la numérisation des données scolaires du LPC via divers outils
ministériels (Base Elève, Sconet, Affelnet etc.), au motif de suivre l’élève du
primaire au secondaire, mémorise et rend accessible pour de nombreuses années
le passé scolaire d’un élève, figeant une image de son cursus incompatible avec
notre vision de l’enfant, personne en construction qui a le droit à l’erreur et
à l’oubli. L’informatisation croissante du suivi scolaire appelle donc un
meilleur encadrement juridique, une réelle information des familles et une
transparence accrue quant aux usages et aux utilisateurs autorisés de ces
données.
Outre
ces craintes légitimes de « fichage », le LPC pose à vrai dire d’immenses problèmes pédagogiques. Il s’appuie
sur une conception instrumentale et linéaire des apprentissages, réduits à une
somme fragmentée de compétences déclinées en tâches à accomplir, écrasant des
pans entiers de la culture mais incluant des comportements normés (notamment
dans les compétences 6 et 7). Le LPC juxtapose des items très disparates, de
nature différente et de difficulté diverse, qui n’ont rien de mobilisateur pour
les élèves et qui rebutent même les enseignants les plus motivés par l’approche
par compétences.
Le
LPC marque une véritable régression pédagogique qui ne doit pas surprendre. Car
avec la loi d’orientation de 2005, le
législateur a renoncé à se donner les moyens d’une réforme en profondeur des
enseignements – programmes disciplinaires
et méthodes pédagogiques. L’Education nationale a fait l’économie d’une
réflexion sur ce que devrait être aujourd’hui une culture scolaire
démocratique, une réflexion qui tiendrait compte des avancées de la recherche
pédagogique (au-delà d’un behaviorisme éculé) ou encore des profondes mutations
culturelles de notre époque (décohabitation des générations, banalisation des
nouveaux média, dématérialisation des savoirs, mémoires conflictuelles, crise
d’autorité de la culture savante, éclectisme des pratiques culturelles et
sociales des jeunes etc.).
2.
Construire une nouvelle culture scolaire
« Les
pratiques des arts, des techniques ou des sports, la place considérable des
images dans la vie sociale ne rencontrent qu’une faible traduction dans la
culture scolaire, alors même que les sciences et les mathématiques ont une
visibilité réduite et occupent une place dominante au sein du monde scolaire.
Déjà, le plan LANGEVIN-WALLON proposait d’accorder une place conséquente aux
« arts du faire », à l’action, à la production et à la fabrication
dans tous les domaines du savoir. Or l’école continue de produire des exercices
scolaires et des pratiques de travail où un exercice chasse l’autre, aussitôt
oublié qu’il est noté. Ni la recherche, ni le questionnement, ni le
tâtonnement, ni l’analyse des erreurs n’ont une place suffisante dans nos
enseignements »
(Denis PAGET, « Ecole et distance
culturelle », in Pour en finir avec
les dons, le mérite, le hasard, ouvrage collectif dirigé par le GFEN, La
Dispute, 2009)
La
« redéfinition du socle
commun » voulue par le nouveau Gouvernement doit être l’occasion
d’ouvrir avec la communauté éducative un vaste chantier, celui de la
construction d’une nouvelle culture scolaire. Cette nouvelle voie devra éviter
le manichéisme entre deux attitudes : trop s’adapter aux élèves et à leurs
pratiques culturelles en renonçant à toute exigence ou sommer tous les jeunes
de rentrer dans la culture des élites. Or il y a place, sans aucun doute, pour
une réflexion sur les valeurs, sur les cultures vivantes, sur la chance que
nous offre aujourd’hui l’intensification des échanges et des dialogues
interculturels.
Cette
nouvelle culture scolaire, qu’on la nomme « socle commun » ou
« culture commune », pourrait se matérialiser dans un document,
véritable référentiel final de la scolarité obligatoire. Ce document ne serait
pas destiné aux élèves – assurément il faut abandonner le LPC et sortir les
enseignements du culte de la performance individuelle pour les replacer dans
une perspective commune. Il s’agirait plutôt d’un document cadre pour les programmes disciplinaires et les projets
d’établissement.
Les
pistes à creuser sont nombreuses, à commencer par la rénovation des programmes
eux-mêmes, pour laquelle seule une concertation très large permettra de
s’affranchir des corporatismes. Les
programmes doivent être revisités, rendus plus accessibles et mobilisateurs,
moins chargés en connaissance à mémoriser, plus ouverts sur les cultures
vivantes et la construction de l’identité collective, permettant aussi davantage
la réflexion critique et la mise en activité. Un document cadre les rendrait
plus cohérents entre eux, pour dégager notamment des objets d’étude favorisant
un travail interdisciplinaire qui donne plus de sens aux apprentissages.
Plus
profondément, il faut reconfigurer et
déhiérarchiser les savoirs scolaires, c’est-à-dire en premier lieu revoir
l’importance des horaires affectés aux différentes disciplines, mais aussi
prendre en compte de nouveaux champs du savoir et de la culture. Ainsi les
jeunes doivent être beaucoup mieux formés à la culture visuelle et médiatique,
à la diversité linguistique, au droit ou encore aux méthodes documentaires. La technologie,
les disciplines artistiques et l’EPS doivent être revalorisées.
La
mission de l’Ecole ne doit pas se réduire à l’acquisition d’une somme de
compétences et de connaissances, aussi nécessaires soient-elles. Pour éveiller
l’élève à la curiosité, l’aider à structurer sa pensée et à former son
jugement, l’Ecole doit valoriser davantage
une démarche de projets, individuels et collectifs, encourageant les élèves à exercer
leur initiative et leur créativité à travers diverses réalisations, y compris
des « chefs d’œuvre » qui soient objets de fierté et puissent être
présentés (soutenance, exposition, représentation etc.). La variété des
productions dans l’établissement témoignera de l’appropriation par les élèves
d’une culture scolaire vivante et fera le lien avec la société, ses artistes, ses
experts ses associations. L’Ecole gagnera en
outre à développer des voies pédagogiques qui combinent savoirs théoriques et
méthodes actives, démarches déductives et inductives, argumentation et arts du
faire.
Cette
rénovation de la culture scolaire doit inclure une remise à plat de nos modes d’évaluation, allant vers plus de
sobriété – la note chiffrée sur le bulletin n’est probablement pas
indispensable avant la 4e – et surtout plus d’efficacité en
privilégiant la progression, plutôt que la note sanction. A cet égard, les
enseignants gagneraient à être formés à différentes méthodes qu’ils pourraient
combiner : notation chiffrée ou par grade, contrat de confiance, approche
par compétence, évaluation en deux temps etc.
Ce
grand chantier appellera quelques bouleversements dans l’organisation des
enseignements, dans les processus d’orientation, dans le rapport des jeunes et
des adultes à l’Ecole, dans la formation pédagogique des enseignants… Mais seule
une refondation de la culture scolaire peut donner sens et cohérence à ces
bouleversements.
Premiers
signataires :
Laurent
TOUZET (secrétaire fédéral à l’éducation, maire adj. Paris 12e),
Hazim ABBAS (75), Pierre ARNOUX (75), Violette ATTAL-LEFI (maire adj. Paris 12e),
Dominique AUBRY (75), Guillaume BALAS (président du groupe socialiste au
Conseil régional d’Île-de-France), Cyril BELIER (75), Muriel BLAISSE
(secrétaire de section, Paris 9e), Amine BOUABBAS (75), Evelyne
BOULONGNE (75), Pascal CHERKI (député, maire, Paris 14e), Gabrielle
CHAMARAT (75), Jean-Louis CHAPUIS (93), Patrick CLASTRES (animateur du groupe
« Savoirs et émancipation » du Laboratoire des Idées), Alain CORLET
(75), Mathieu DELMESTRE (75), Françoise DUMONT (75), Capucine EDOU (75), Odile
GAILLARD (Maire adj. Athis Mons, 91), Emmanuel GREGOIRE (secrétaire de section,
Paris 12e), Jean-Pierre GRYSON (75), Sébastien gué (75), Liliane GUIGNARD-GISSELBRECHT
(secrétaire fédérale adjointe à l’éducation, 75), Vincent JAROUSSEAU (maire adj. Paris 14e), Aurélie
KIENE (75), Egmont LABADIE (75), Simone LANDRY (75), Philippe LEPEUDRY (75), Louise
MAISONS (75), Christiane MARCAILLOU (75), Mathieu MARIE (conseiller municipal
de Guénange, 57), Delphine MAYRARGUE (secrétaire nationale adjointe au travail
et à l’emploi), Laurent MIERMONT (maire adj. Paris 13e),
Jean-François MINOT (75), Rodolphe MONGUE-DIN (75), Claire MOREL (conseillère
de Paris), Olivia NGON (75), Carine PETIT (maire adj. Paris 14e),
Jean-Louis PIEDNOIR (secrétaire de section, ministère de l’éducation nationale,
75), Bastien RECHER (secrétaire fédéral à l’animation politique, 75),
Marie-Claude RICHET (75), Anne-Marie ROMERO (75), Michel ROUSSELOT (75), Audrey
SAUNION (75), Isabelle SIMON (75), Ambroise SOLOMON (75) Laurent SOUCHARD (93),
André STAROPOLI (75), Véronique STEPHAN (75), Gérard SÜSS (75), Guy TABACCHI
(conseiller d’arrondissement, Paris 12e).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire